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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

effet qu’on est habitué à considérer comme le père de l’idéalisme, quand on ne remonte pas jusqu’à Xénophane. D’un autre côté, depuis Platon et Aristote, la thèse éléatique est regardée comme directement opposée à celle d’Héraclite : l’une immobilise l’être, l’autre le montre insaisissable dans le perpétuel devenir ; on est donc porté à croire à une véritable contradiction historique.

Je ne m’arrêterai pas sur ce second point ; Éd. Zeller me paraît avoir suffisamment fait justice du préjugé courant ; il a sérieusement établi que le poème de l’Éléate et le discours de l’Éphésien sont sensiblement de la même date, et qu’aucun des deux auteurs n’a dû connaître l’œuvre de l’autre.

Je dirai plus : de toutes les doctrines ioniennes, celle d’Héraclite est en fait la plus voisine de la thèse de Parménide ; l’Éphésien est moniste et nie la révolution diurne ; au point de vue concret, le seul considéré à cette époque, c’est là l’essentiel. Évidemment, si l’on se place au contraire au point de vue abstrait, il y a une grande différence entre s’attacher à la permanence de l’être ou bien insister sur l’universalité du devenir. Mais la divergence n’existe que dans les tendances individuelles des deux pensées ; elles partent d’un même fond commun, et Platon essaiera de les réunir.

La question capitale est de savoir comment précisément les penseurs de l’âge hellène, dans le courant du Ve siècle, arrivèrent à se dégager du concret et à se placer au point de vue abstrait. On est d’accord pour reconnaître que cette évolution décisive s’accomplit sous l’influence de l’école éléatique ; or cette école ne nous présente que trois noms, Parménide, Zénon et Mélissos, si du moins, comme je le crois, on doit écarter Xénophane. Quel fut le rôle de ces trois penseurs ? Le premier avait-il déjà accompli le progrès dans son entier ou bien le changement de front ne s’est-il effectué que peu à peu, suivant des stades distincts qu’il serait possible de bien préciser ?

Mélissos, maltraité par Aristote, laissé au second plan par Platon, nous représente cependant, d’après ses fragments, un idéalisme bien décidé ; ce qui le caractérise d’ailleurs à cet égard, c’est qu’il n’est aucunement physicien ; l’explication du monde phénoménal ne le préoccupe en rien ; il reste constamment sur le terrain qui, depuis, a été qualifié de métaphysique.

Les hardis paradoxes de Zénon d’Élée semblent, à première vue, appartenir au même domaine ; il est certain que leur célébrité et