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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

tout entier devient d’une clarté limpide ; sans elle, tout reste obscur et incompréhensible.

L’espace pur ne peut aucunement exister ; il n’est ni pensable ni exprimable ; cela suffit pour lui dénier toute possibilité. Voilà le point de départ de Parménide, et de son temps cela ne pouvait souffrir aucune contradiction. Personne n’avait encore considéré l’espace autrement que comme le lieu de la matière ; les atomistes n’étaient pas encore apparus, et l’on doit même dire que l’abstraction nécessaire pour constituer le concept de l’espace pur eût été impossible sans les abstractions contraires de l’Éléate. Ce dernier n’a à combattre que le vide relatif des pythagoriens et son triomphe est facile. Le point de départ admis, il est aisé de démontrer que la matière est inengendrée et impérissable, qu’elle ne peut ni croître ni diminuer. Il en résulte de même immédiatement qu’elle est continue et forme ainsi un tout unique. Ce tout est dès lors nécessairement immobile.

Enfin Parménide affirme qu’il est limité ; c’est qu’on ne peut concevoir un tout comme indéfini ; il le détermine par suite comme ayant une forme sphérique, par raison de symétrie et par exclusion du vide.

L’espace limité et rempli par la matière, voilà donc en somme à quoi se réduit la thèse de Parménide. Elle ne met en question ni les phénomènes particuliers, ni les apparences de genèse et de destruction qui en résultent. Mais, s’il n’y a rien de plus, pourquoi donc cette séparation absolue entre le domaine de la vérité et celui de l’opinion ? et quelle valeur au juste Parménide attribue-t-il à sa physique conjecturale ?

Cette valeur, il la définit lui-même par les paroles qu’il met à la fin de son prologue dans la bouche de la divinité qui l’accueille (v. 28-32). Il est clair qu’il attribue en réalité à son exposition physique une importance considérable, tout en distinguant des vérités nécessaires les conjectures les plus plausibles.

La différence entre les deux domaines consiste pour Parménide en ce qu’il considère sa thèse comme rigoureusement démontrée, comme établie par la seule force de la raison de manière à entraîner une conviction absolue ; l’explication des phénomènes particuliers, au contraire, n’est pas à ses yeux susceptible de démonstrations ; là-dessus on peut atteindre la probabilité, non la certitude ; mais l’explication n’est pas pour cela nécessairement fausse.