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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

une approximation entre les limites correspondantes ? Si l’on part de jugements a priori, leur vérité subjective est-elle susceptible d’une application objective ? Naturellement ces questions n’existent point encore pour Parménide ; il postule simplement la négation de ce qui n’est pas intelligible et ne s’avise pas de rechercher pourquoi telle chose n’est pas susceptible d’être conçue, s’il s’agit vraiment d’une forme nécessaire de notre pensée ou seulement d’une lacune dans les éléments que lui fournit la sensation. Une des deux branches au moins du dilemme lui échappe ; l’autre ne peut donc être nettement aperçue.

Mais, sous ces réserves, le postulat de l’Éléate n’en reste pas moins toujours applicable dans la science ; celle-ci ne peut être construite qu’avec des notions claires et précises ; ce qui n’est point intelligible n’existe point pour elle. C’est là le principe nécessaire, mais non suffisant, que Descartes nous a rappelé deux mille ans après Parménide.


5. Tel nous apparaît l’Éléate dans son poème, logicien rigoureux, mais, malgré la forme abstraite de ses arguments, se bornant au point de vue concret où chacun avant lui était fatalement resté attaché. Dépassa-t-il ce point de vue plus tard, dans un enseignement d’école ? La question mérite d’être posée, quoiqu’elle ne puisse guère être résolue avec précision.

Comme Diels l’a fait ressortir[1], Parménide fonda probablement une école fermée, modelée en partie sur l’institut pythagorique, se distinguant elle aussi, par un genre de vie particulier, par le rapprochement étroit du maître et des disciples, par l’affectation d’un rôle politique. Le caractère propre de cette école fut certainement, avant tout, l’exercice à l’emploi de la dialectique, suivant les principes posés par le maître. Toutefois, comme les abstractions de Zénon, quoique j’attribue toujours à sa polémique un objectif concret, me paraissent déjà singulièrement dépasser le cadre tracé par Parménide, il m’est difficile de croire, avec Diels, que le poème du Maître ait été comme un catéchisme rédigé pour les besoins journaliers des exercices de l’école.

Je le concevrais plutôt comme une œuvre de jeunesse (cf. v. 24) qui eut un succès mérité et attira autour de l’auteur des admirateurs et des amis. Imiter ces raisonnements, essayer de les pousser

  1. Ueber die ältesten Philosophenschulen der Griechen (Philos. Aufsätze, 1886, p. 248 et suiv.).