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CHAPITRE IX. — PARMÉNIDE D’ÉLÉE.

ne me paraît motiver l’attribution de cette réduction à Parménide, alors qu’il la présente comme lui étant étrangère et alors que tout nous indique qu’elle avait été faite par les pythagoriens.

D’autres erreurs, encore plus graves, ont cours au sujet de ces vers de Parménide. Les deux formes de l’être ne correspondent nullement, comme le prétend Aristote, à l’opposition de l’être et du non-être ; il faut absolument torturer le sens pour y reconnaître cette opposition. De même, le πἐρας et l’ἄπειρον des pythagoriens (ch. III, 2) étaient également matériels et avaient également droit au titre d’être. Le non-être (vide absolu) ne fut ajouté à l’être que par les atomistes ; ils entrèrent les premiers dans la voie que l’Eléate avait voulu interdire, alors que, de son temps, le développement des abstractions géométriques devait commencer à la rendre possible. Sa négation du non-être n’est donc, à proprement parler, dirigée contre aucune doctrine contemporaine, mais bien les conséquences qu’il en tire, comme l’unité et la continuité de la matière, etc.

S’il décrit le feu comme homogène, c’est seulement pour opposer la ressemblance de cet élément à lui-même et sa différence par rapport au second élément ; il ne dit nullement que ce dernier est hétérogène. Une telle affirmation eût été un non-sens de sa part, car il n’aurait pu donner de motifs pour cette hétérogénéité, dont il n’avait d’ailleurs aucunement besoin.

Mais une remarque capitale est à faire : il est clair que le corps subtil de Parménide correspond à l’ἄπειρον de Pythagore, et son élément dense au πἐρας. Or, d’après la tradition, c’est ce dernier qui est au premier rang dans les oppositions pythagoriennes ; pour Parménide, c’est au contraire le corps subtil.

La raison de ce renversement est facile à voir ; dans une cosmologie, il y a nécessité à introduire la lumière et les ténèbres ; or, la lumière ne peut être attribuée qu’au subtil, et, d’autre part, dans une opposition, elle doit occuper le premier rang. J’ai déjà signalé cette antinomie (ch. VIII, 1) et montré les conséquences qu’elle a dû exercer sur l’évolution des doctrines pythagoriennes.

Il est donc clair qu’ici la physique de Parménide ne peut représenter l’enseignement même de Pythagore. Mais celui-ci a-t-il réellement professé une doctrine complète en physique ? C’est là ce que je mets en doute. L’enseignement oral est en tout cas séparé par une telle distance d’une rédaction que tout pythagorien qui a écrit a nécessairement fait secte dans l’École ou s’est rattaché