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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

qui, aux yeux des physiologues antiques, n’avaient nullement la prépondérance qu’elles ont acquise plus tard. Ce ne sont donc pas les solutions qu’ils donnent à ces questions qui forment la caractéristique essentielle de leurs systèmes ; j’aurais pu les laisser dans l’ombre, si je n’avais cru intéressant de rechercher comment elles se sont trouvées mêlées aux problèmes proprement scientifiques, sous quelles influences elles ont grandi et à la suite de quelle évolution elles sont parvenues à concentrer sur elles une part si considérable de l’activité intellectuelle.

La plupart de ces questions sont telles, en fait, que la science ne peut s’en désintéresser absolument ; quand elle ne recommence pas à les discuter dans une certaine mesure, c’est qu’elle n’ignore plus qu’elle peut, sans inconvénient, les préjuger dans un sens déterminé ou bien qu’elle n’a pas encore réuni assez d’éléments pour les aborder fructueusement. J’ai donc été conduit à tenir compte, pour chacun de ces problèmes, de l’importance qu’il me paraissait avoir aux yeux de la science moderne, comme aussi à préciser la position prise, en face d’eux, par cette dernière. Enfin, j’ai pu avoir à marquer la limite qui sépare le terrain scientifique du domaine de l’inconnaissable. Certes, les premiers pionniers de la pensée humaine ne pouvaient aucunement discerner cette limite, mais il importe de l’avoir présente sous les yeux, quand il s’agit, pour telle ou telle de leurs tentatives, d’en apprécier le caractère, soit vraiment scientifique, soit purement philosophique.

Ainsi je ne me suis pas proposé seulement de réunir dans ce volume des matériaux pour l’histoire des origines de la science, j’ai voulu grossir ces matériaux d’appréciations théoriques, et aussi, dans une certaine mesure, donner une sorte de complément à l’histoire des origines de la philosophie. Quelle importance peut, à mes yeux, offrir ce complément, je crois l’avoir suffisamment indiqué. Il s’agit de mettre en lumière une autre face de la question, toute différente, sans toutefois faire oublier la première et la seule qui ait vraiment été bien considérée jusqu’à présent. Plus tard peut-être, un esprit assez large, assez puissamment doué, pourra suffisamment s’élever pour embrasser, d’un seul point de vue, pendant cette période créatrice, l’histoire de la pensée humaine, avant l’époque où ses progrès mêmes l’obligèrent à distinguer et à séparer les divers champs ouverts à son activité.