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CHAPITRE XI. — MÉLISSOS DE SAMOS. 263

apparaître; nul ne songe à rompre avec la tradition; chacun s’y rattache au contraire, ne fût-ce que par un point, comme Empédocle par la métempsycose.

Dans ce milieu sont apparus les Éléates, en fait comme une secte particulière, non pas comme une école vraiment nouvelle; ils ont soulevé de graves questions, réfuté des préjugés invétérés, substitué aux hypothèses sur le concret le raisonnement sur l’abstrait. Le contre-coup est décisif; la masse pythagorienne se jette à son tour dans l’abstrait, et s’attache forcément dès lors aux notions mathématiques que le Maître a enseignées. C’est sous cette forme que s’élaborent les germes de la doctrine des Idées ; c’est de là qu’elle viendra fleurir à Athènes.

Platon a la pleine conscience de cette évolution, et c’est pourquoi il salue comme précurseurs les Éléates au même titre que les pythagoriens. Concilier le monisme des uns et le pluralisme des autres, voilà le problème qu’il trouve toujours pendant et dont il tente à son tour de chercher la solution. Mais si, chemin faisant, il rencontre Mélissos, à peine lui accorde-t-il quelque attention; c’est que celui-là s’est rnû dans un tout autre ordre d’idées, c’est qu’il a déjà singulièrement dépassé le terrain sur lequel la conciliation pouvait être essayée.

Depuis la ruine de Milet, l’essor intellectuel était au contraire singulièrement ralenti dans les colonies hellènes de l’Asie ; là c’est l’école d’Heraclite qui domine désormais et, raffinant sur l’inconstance des choses, elle tombe jusqu’à la niaiserie. En face de cette doctrine, le monisme idéaliste devait fatalement surgir; c’était l’antithèse appelée et préparée; il n’a pas d’autre sens ni d’ailleurs d’autre portée. Les deux dogmes se concilient immédiatement, sans amener de progrès intellectuel vers un point de vue supérieur.

Si l’on reprend en détail la comparaison des thèses de Mélissos avec celles de Parménide, il est facile de reconnaître l’influence de l’héraclitisme sur les premières. Quand l’Éléate avait nié qu’une chose qui n’est pas puisse devenir une chose qui est, le Samien nie qu’une chose qui n’est pas blanche puisse devenir une chose qui est blanche. C’est la réplique forcée à l’héraclitisant qui disait: Cette chose est et n’est pas blanche.

2. Mais Parménide parlait de l’univers concret ; de quoi parle au juste Mélissos et quelle valeur ont ses thèses? Il est facile de répondre que ses arguments ont été constamment appliqués depuis