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264 POUR l'histoire de la science hellène.

deux mille ans à l'idée de Dieu ; il a, le premier, parcouru le cercle limité où la philosophie religieuse a tourné depuis, en cherchant vainement à l'agrandir, et où le spiritualisme s'est usé comme le panthéisme. Éternel, infini, un, immuable, voilà en effet les affir- mations de la raison, quand elle croit pouvoir affirmer; au delà elle se heurte à des obstacles infranchissables. Comment donc un penseur tel que nous apparaît Mélissos est-il, d'ordinaire, classé à un rang inférieur? Comment ne lui reconnait-on pas l'importance majeure que ses thèses ont, historiquement, acquise en philosophie ?

11 y a à cela une double raison : la première est que son mode d'argumenter est emprunté aux Ëléates et que son originalité se trouve masquée par cette forme étrangère, quoiqu'il l'adapte à de nouvelles questions; la seconde est qu'Aristote le malmène dans ses appréciations et va jusqu'à dire qu'il conçoit l'être comme matériel. On a donc cherché, pour justifier l'opinion du Stagirite, à rabaisser Mélissos en critiquant la portée de ses thèses et la valeur de ses raisonnements.

Il était cependant facile de reconnaître le motif déterminant de l'attitude d'Aristote : Mélissos s'écarte de Parménide par l'affirma- tion de l'infinitude de l'être ; or une telle affirmation se trouve en contradiction avec les thèses propres du Stagirite; celui-ci est en effet demeuré sous l'influence de l'idée pythagorienne, que la perfection est un attribut du limité.

Mais, pour apprécier justement le Samien et peser les critiques qui lui ont été adressées, nous ne sommes même pas obligés de nous placer au point de vue que j'ai indiqué plus haut, la considé- ration de l'idée de Dieu; nous pouvons rester sur le terrain que nous indique Aristote, sauf à envisager l'univers phénoménal comme doit le faire la science moderne.

Pour elle, comme pour Mélissos, le monde n'est qu'une illusion ; l'analyse le réduit à un ensemble de mouvements de formes éten- dues, mais l'existence de l'espace et du temps ne nous est assurée que subjectivement; le résidu qu'a laissé subsister l'analyse scien- tifique peut donc n'avoir aucune valeur objective et n'être qu'une forme commode pour la recherche.

Mais cette conception même du monde, où le mouvement prédo- mine, n'est-elle pas absolument contradictoire de l'immutabilité affirmée par Mélissos? Aucunement; tous les mouvements, quel que soit leur mode, sont des transformations qui s'accomplissent d'après la loi d'une équivalence, et le but de la science est précisé-

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