Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/294

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Cette conception nous montre pour la première fois la notion de l’infini rigoureusement employée dans son véritable sens mathématique. Le monde est une grandeur qui croit indéfiniment et peut dépasser toute limite assignable, de même que la série des nombres. Nous reconnaissons là la pensée d’un vrai géomètre et nous pouvons nous attendre à le retrouver aussi rigoureux et aussi éloigné des idées vulgaires, quand il s’agira non plus de l’infini- ment grand, mais bien de l’infiniment petit. Revenons donc sur celte autre face de la question de la matière et demandons-nous d’abord si Anaxagore pouvait conserver la thèse moniste, et aussi à quelles difficultés il avait à parer en produisant une thèse pluraliste.

5. Il semble difficile que, du moment où il distinguait de la matière la cause du mouvement et où, en même temps, il considérait celle-ci comme produisant à peu près exclusivement une rotation d’où résultait secondairement l’organisation du monde, Anaxagore ait pu avoir la pensée de maintenir l’unité de la matière; celle-ci devait lui apparaître comme un mélange mécanique, dont le mouvement révolutif séparait les divers éléments. C’est bien ainsi en fait qu’il se représente l’organisation du monde.

Mais ses idées cosmogoniques n’en sont pas moins, par la force même des choses, tout à fait analogues à celles des Milésiens, puisque le problème général était le même, soit pour eux, soit pour lui; or, les maîtres sur les traces desquels il marchait, tout en affirmant l’unité de la matière, n’avaient pas suffisamment approfondi une question encore nouvelle, et les expressions qu’ils avaient employées pouvaient souvent, pour Anaximandre en particulier, s’entendre d’un mélange mécanique actionné par la révolution générale, plutôt que d’une masse susceptible de se transformer dynamiquement sous cette même action ; si Anaximène avait bien posé la question sur ce terrain, Heraclite fut, peut-être, le premier dynamiste absolument conséquent avec lui-même, mais il avait dû précisément concevoir tout autrement la cause des mouvements.

Anaxagore pouvait donc croire possible de reprendre la vraie tradition milésienne, en adoptant pour la matière un concept précis et scientifique; mais il devait écarter l’hypothèse du mélange d’un certain nombre déterminé d’éléments non trans- formables les uns dans les autres — hypothèse qui fut celle d’Empédocle — car, en entrant dans cette voie, qui pouvait