Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/306

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12. On sait le long triomphe de cette théorie formée d’éléments disparates; il suffit de remarquer qu’au point de vue scientifique elle est très inférieure à celle d’Anaxagore; aussi doit-on regretter que ce ne soit pas cette dernière que la science antique ait eu à mettre à l’épreuve, au lieu de se mouvoir dans le cadre étroit de la symétrique construction d’Aristote.

Cette dernière ne permet aucune combinaison mathématique effective; son infécondité à cet égard est malheureusement trop prouvée a posteriori pour que j’aie à insister sur ce point.

La réunion constante des qualités opposées, telle que la professait Anaxagore, satisfaisait au contraire aux conditions scientifiques, car elle a pour conséquence qu’il faut toujours uniquement considérer la résultante des deux tendances opposées, et l'on se trouve dès lors bientôt aux mêmes points de départ que la science moderne pour l’explication des phénomènes.

La séparation absolue des qualités opposées et leur association arbitraire avec telles ou telles autres étaient un retour, avec de nouvelles erreurs en sus, aux premières ébauches des théories pythagoriennes. C’était la consécration du système d’explications vagues et illusoires déjà en vigueur chez les médecins de l’époque; car ce sont eux qui ont, les premiers, abusé des qualités élémentaires, comme on devait si longtemps continuer à le faire d’après Aristote. Avec la théorie de ce dernier, ces qualités élémentaires deviennent de véritables êtres de raison, auxquels on attribue les propriétés les plus diverses et le mode d’action le plus fantastique. Le nombre des combinaisons logiques possibles se réduit au minimum et, comme elles doivent suffire à expliquer l’infinie variété des phénomènes, on a recours à d’étranges artifices en s’écartant de plus en plus de l’observation et de l’expérience.

Mieux eût valu, certes, au lieu de ce bizarre compromis entre des conceptions essentiellement différentes, s’en tenir fidèlement an pluralisme décidé que professait Empédocle et ne pas chercher, dans les accouplements arbitraires des qualités élémentaires, une preuve a priori qu’il doit y avoir quatre éléments et qu’il ne peut y en avoir davantage. Si grossière que fut la première approximation d’Empédocle, il y avait dans ses idées un point de départ pour L’étude des combinaisons chimiques; les éléments d’Aristote, avec leurs qualités prétendument immuables en soi, ne sont plus un sujet d’expérience, mais de véritables ûctions donl le fantôme hantera pour dea siècles le cerveau des pionniers de la science