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APPENDICE I. — THÉOPHRASTE, SUR LES SENSATIONS

de relâchement, d’attribuer au contraire aux figures le chaud, le froid et le reste. D’autre part, il fait du lourd, du léger, du dur et du mou des natures en soi (car la grandeur, la petitesse, le degré de resserrement ou de relâchement ne sont point relatifs à autre chose) ; il prétend au contraire que le chaud, le froid et le reste se rapportent à la sensation, et il le répète souvent ; pourquoi donc assigner à telle saveur une figure sphérique ?

69. C’est la plus grande contradiction, qui se présente d’ailleurs dans tous les cas, que de faire des saveurs des affections des sens et en même temps d’en déterminer les figures, tout en disant que la même substance paraît aux uns amère, aux autres douce, aux autres différente. Il est impossible que la figure soit une affection et qu’elle ne soit pas toujours la même, mais soit sphérique pour les uns, différente pour les autres. Il est également impossible, si la même saveur est douce pour l’un, amère pour l’autre, que les formes changent suivant nos dispositions. En un mot, la figure est en soi, le doux et en général ce qui est senti se rapporte à un autre et appartient à un autre sujet, comme il le dit. Mais il est absurde de demander que l’apparence soit la même pour tous ceux qui sentent la même chose, puis d’en prouver la vérité, et après cela de venir dire que les apparences diffèrent pour ceux qui sont différemment disposés, et que ni les uns ni les autres ne sont plus près de la vérité.

70. Il serait raisonnable que le meilleur l’emportât à cet égard sur le pire et le sain sur le malade ; car c’est plus conforme à la nature. — D’autre part, s’il n’y a pas de nature pour les objets sensibles, parce qu’ils ne paraissent pas les mêmes à tous, il n’y en a pas davantage pour les animaux ni pour les autres corps ; l’opinion là-dessus n’est pas davantage universelle. Mais si le doux et l’amer ne sont pas perçus par tous de la même façon, la nature de l’amer et du doux n’en parait pas moins la même à tous, ce que Démocrite lui-même semble témoigner. Car comment ce qui est amer pour nous serait-il doux ou astringent pour d’autres, s’il n’y a pas pour toutes ces saveurs quelque nature déterminée ?

71. C’est ce qu’il reconnaît encore plus clairement quand il dit que chaque saveur devient et est en vérité, et en particulier que pour l’amer nous avons « le lot de l’intelligence ». Ainsi par là il semble contradictoire de ne pas admettre une certaine nature des objets sensibles, et là-dessus, comme on l’a dit plus haut, d’attribuer une figure à la chaleur ou au reste, tout en disant que ce