Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/65

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l’ignorance des auteurs de l’antiquité sur les croyances des barbares ayant trait à la philosophie. Certes, avant que les tombeaux de l’Égypte nous eussent livré leurs papyrus, cette ignorance pouvait être soupçonnée, mais non mesurée ; désormais il convient de tenir mieux compte des révélations que nous apporte le déchiffrement des écritures hiératiques.

Ce n’est donc pas révoquer en doute l’incontestable originalité du génie hellène que de considérer, pour Thalès au moins, la question comme encore ouverte. Pour l’élucider, il me semble d’ailleurs indispensable de préciser, avant tout, autant du moins qu’il est possible de le faire aujourd’hui, le caractère réel de l’influence exercée par les barbares sur la constitution des sciences mathématiques et astronomiques en Grèce. En l’absence de documents probants, c’est le seul moyen de pouvoir juger par analogie quelle a pu être la nature de cette influence sur le développement des autres sciences et sur celui des premières idées philosophiques.

C’est cette double étude que je me propose donc de tenter pour le moment. Il m’a semblé que les résultats des travaux de notre siècle, les points acquis dans l’histoire des mathématiques d’une part, et, de l’autre, dans celle des anciens peuples de l’Orient, pouvaient mieux servir qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent à éclairer les sources de la philosophie, et par conséquent de toutes les sciences qu’elle embrassait dans l’antiquité. Il m’a semblé qu’en tous cas, même abstraction faite des thèses nouvelles que j’aurai à soutenir, l’exposé des faits mis à l’appui pourrait suffire à intéresser le lecteur.

Quant à mes conclusions, peut-être convient-il de les résumer d’avance. J’essaierai de montrer que c’est vraiment aux Grecs qu’appartient la gloire d’avoir constitué les sciences aussi bien que la philosophie ; mais si l’originalité de leur génie éclate, comme on le verra dans un autre chapitre, dès Anaximandre, le véritable chef de l’école ionienne, rien ne prouve que Thalès en particulier ait fait autre chose que de provoquer le mouvement intellectuel, que de susciter l’étincelle, en introduisant dans le milieu hellène des procédés techniques empruntés aux barbares et en y faisant connaître quelques-unes de leurs opinions. Le même rôle a pu, au reste, être joué par beaucoup d’autres voyageurs de son temps ; mais il fut sans doute l’observateur le plus sagace et le plus habile initiateur. Esprit d’ailleurs, semble-t-il, moins spécu-