Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/67

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bientôt facile à un Grec intelligent et séjournant suffisamment dans le pays, de faire une enquête sérieuse sur les connaissances pratiques et les opinions générales des Égyptiens. C’est au moins le rôle que l’on doit attribuer à Thalès.

On a révoqué en doute jusqu’à son voyage en Égypte, parce qu’il n’est pas attesté par des documents suffisamment anciens. Il semble pourtant qu’on aurait pu se contenter de ce fait que c’est à Thalès que remonte, d’après Hérodote, la recherche de la cause des débordements périodiques du Nil ; ce problème, qui préoccupa successivement les Ioniens, a dû, dans l’origine, être soulevé par un témoin oculaire.

Revenu à Milet, Thalès y consacra aux travaux de l’intelligence les loisirs de son âge mûr et de sa vieillesse. L’historiette d’Aristote sur le monopole des pressoirs d’huile parait indiquer que tout d’abord la nature de ses occupations, absolument étrangère aux habitudes de ses compatriotes, fut loin de lui attribuer leur considération. Mais, à la longue, les appréciations changèrent, car Hérodote nous le montre jouant un rôle politique notable, soit en Ionie, soit même auprès du roi Crésus.

La circonstance qui attira surtout sur lui l’attention de ses compatriotes fut, sans aucun doute, non pas une heureuse spéculation sur la récolte des olives, mais la prédiction de l’éclipse solaire totale du 30 septembre 610, qu’il doit avoir faite encore assez jeune. On a vu, au chapitre précédent, comment on rattacha plus tard à la date qu’on croyait devoir attribuer à cette éclipse, la légende du vase à donner au plus sage, et qui lui revient à nouveau, après avoir passé par sept mains différentes.

La réalité de cette prédiction a été souvent révoquée en doute par les modernes, tandis que toute l’antiquité semble s’accorder pour reconnaître dans son succès l’événement qui, grâce à la renommée acquise par Thalès, éveilla dans la race hellène l’amour de la science et l’émulation vers ce noble but de la vie.

Les arguments des incrédules[1] ont un incontestable fondement ; pour essayer d’annoncer comme visible en un point donné de la terre une éclipse solaire avec quelque chance de succès, il faut posséder certains éléments astronomiques qui n’ont été connus et encore très approximativement qu’au iiie siècle (Aristarque de

  1. Voir notamment l’étude de Th.-H. Martin, Revue archéologique, 1864, et les chapitres de son Histoire de l’astronomie publiés depuis dans les Mémoires de l’Institut.