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SOUVENIR DES FÊTES DE BIENFAISANCE

(LES 21-22-23 AVRIL 1877)

Au profit des Ouvriers de Lyon et des Pauvres de Rennes.

L’AUMÔNE

In omnibus caritas !

Le lourd soleil de juin a brûlé les campagnes.

Le torrent qui tombait du sommet des montagnes,
Brisant les fleurs, broyant les arbres dans son choc,
Ouvre, comme une plaie énorme dans le roc,
Son gouffre desséché plein de débris informes.
Le ruisseau, dont les eaux baignaient le pied des ormes
Et qui courait, avec des murmures confus,
Frais et clair, sous l’abri des vieux saules touffus,
Montre à présent son lit de sable triste et vide.
Le chemin est ardent et le champ est aride.
On voit les blés jaunis sécher sans être mûrs.
Les fauves par milliers cherchent l’abri des murs,
Épouvantés de voir leur forêt sans ombrage.
Les oiseaux étonnés s’appellent. Avec rage,
Inquiets, vainement frappent-ils de leur bec,
La terre dévastée et la fontaine à sec.
Les reptiles brûlés par la chaleur du sable
Sont saisis d’un effroi vague, indéfinissable
Et n’osent plus sortir. Le troupeau haletant
Regarde avec stupeur les vases de l’étang,
D’où s’élève un brouillard épais et délétère.
Partout la sécheresse a fait fendre la terre.
Adieu les verts taillis ! Adieu les gazons frais !
Adieu, paix des vallons ! mystère des forêts !
Le soleil a fané les fleurs, flétri les mousses !
La nature n’a plus de perspectives douces
Et dans ce flamboiement de la terre et des cieux,
L’homme ne trouve pas où reposer ses yeux.
La soif et le murmure ont contracté sa bouche.
Il est découragé, sombre, morne, farouche.
Il respire, mêlés dans un air lourd et chaud,
La poussière d’en bas et les rayons d’en haut.

Alors on entendit s’élever de la terre
Une clameur géante, unissant la prière
Au blasphème, la rage et l’imprécation
Aux longs sanglots empreints de résignation.
De l’homme et de l’oiseau, du sommet et du gouffre,
Sortait le même cri : Seigneur, la terre souffre !

Le Seigneur répondit : « Je vais faire pleuvoir
Sur la terre assez d’eau pour remplir l’abreuvoir,
Le ruisseau, le torrent, l’étang, le lac, le fleuve ;
Pour vêtir les forêts d’une ramure neuve ;
Pour faire reverdir les vallons et les prés,
Et pour calmer la soif de ces désespérés
Qui souffrent, quel que soit le nom dont on les nomme.
Je veux sur le reptile aussi bien que sur l’homme,
Sur le fauve et l’oiseau, sur le gouffre et le champ,
Sur la ronce et la fleur, sur le monstre méchant
Comme sur l’être doux, sur l’humble et le superbe,
La ciguë et le blé, le cèdre et le brin d’herbe,
Sur tout ce qui languit verser le même don.
Je suis la Récompense et je suis le Pardon !
Je veux que le bien fait étouffe le blasphème ;
Que l’ignorant haineux me connaisse et qu’il m’aime ;
Je veux gagner son cœur par la douleur aigri ;
Je veux qu’il soit à moi, quand je l’aurai guéri.
Je veux que le bonheur apaise et sanctifie
Tout ce qui se révolte et ce qui se défie
Et réconciliant tous les êtres entre eux,
Que la fraternité de l’univers heureux,
Comme un parfum d’encens monte jusqu’à mon trône.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Ô Frères, c’est ainsi que doit tomber l’aumône !

Louis TIERCELIN.


Tiré sur le char de l’Imprimerie, pendant la marche de la Cavalcade, par le personnel de la Maison Alphonse LEROY Fils, à Rennes.