Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/128

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huit ans, expliqua la comtesse à son fils ; elle ne l’a jamais quitté et se tourmente de l’avoir laissé seul.

— Nous avons causé tout le temps de nos fils avec la comtesse. Je parlais du mien, et elle du sien, dit Mme Karénine en s’adressant à Wronsky avec ce sourire caressant qui illuminait son visage.

— Cela a dû vous ennuyer, répondit-il en lui renvoyant aussitôt la balle dans ce petit assaut de coquetterie. Mais elle ne continua pas sur le même ton, et, se tournant vers la vieille comtesse :

— Merci mille fois, la journée d’hier a passé trop rapidement. Au revoir, comtesse.

— Adieu, ma chère, répondit la comtesse. Laissez-moi embrasser votre joli visage et vous dire tout simplement, comme une vieille femme peut le faire, que vous avez fait ma conquête. »

Quelque banale que fût cette phrase, Mme Karénine en parut touchée ; elle rougit, s’inclina légèrement et pencha son visage vers la vieille comtesse ; puis elle tendit la main à Wronsky avec ce même sourire qui semblait appartenir autant à ses yeux qu’à ses lèvres. Il serra cette petite main, heureux comme d’une chose extraordinaire d’en sentir la pression ferme et énergique.

Mme Karénine sortit d’un pas rapide.

« Charmante, dit encore la comtesse. Le fils était du même avis, et suivit des yeux la jeune femme tant qu’il put apercevoir sa taille élégante ; il la