Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/177

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« Vous êtes revenu bien vite, mon petit père, dit Agathe Mikhaïlovna.

— Je me suis ennuyé à Moscou, Agathe Mikhaïlovna ; on est bien chez les autres, mais on est mieux chez soi ! » dit-il en passant dans son cabinet.

Le cabinet s’éclaira aussitôt de bougies apportées à la hâte. Les détails familiers lui en apparurent peu à peu : les grandes cornes de cerf, les rayons chargés de livres, le miroir, le poêle avec ses bouches de chaleur qui demandaient depuis longtemps à être réparées, le vieux divan de son père, la grande table ; sur celle-ci un livre ouvert, un cendrier cassé, un cahier couvert de son écriture.

En se retrouvant là, il se prit à douter de la possibilité d’un changement d’existence tel qu’il l’avait rêvé chemin faisant. Toutes ces traces de sa vie passée semblaient lui dire : « Non, tu ne nous quitteras pas, tu ne deviendras pas autre, tu resteras ce que tu as toujours été, avec tes doutes, tes perpétuels mécontentements de toi même, tes tentatives stériles d’amélioration, tes rechutes, et ton éternelle attente d’un bonheur qui n’est pas fait pour toi. »

Voilà ce que disaient les objets extérieurs ; une voix différente parlait dans son âme, lui murmurait qu’il ne fallait pas être esclave de son passé, qu’on faisait de soi ce qu’on voulait. Obéissant à cette voix, il s’approcha d’un coin de la chambre où se trouvaient deux poids pesant chacun un poud ; il les souleva pour faire un peu de gymnastique, et tâcher de se retrouver fort et courageux. Un bruit