Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/193

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passèrent près d’Anna ; elle se préparait à remonter en wagon après avoir respiré fortement, comme pour faire provision d’air frais, et sortait déjà la main de son manchon, lorsque la lumière vacillante du réverbère lui fut cachée par un homme en paletot militaire qui s’approcha d’elle. C’était Wronsky, elle le reconnut.

Aussitôt il la salua en portant la main à la visière de sa casquette, et lui demanda respectueusement s’il ne pouvait lui être utile. Anna le regarda et resta quelques minutes sans pouvoir lui répondre ; quoiqu’il fût dans l’ombre, elle remarqua, ou crut remarquer dans ses yeux, l’expression d’enthousiasme qui l’avait frappée la veille. Combien de fois ne s’était-elle pas répété que Wronsky n’était pour elle qu’un de ces jeunes gens comme on en rencontre par centaines dans le monde, et auquel jamais elle ne se permettrait de penser : et maintenant, en le reconnaissant, elle se sentait saisie d’une joie orgueilleuse. Inutile de se demander pourquoi il était là ; elle savait avec autant de certitude que s’il le lui eût dit, qu’il n’y était que pour se trouver auprès d’elle.

« Je ne savais pas que vous comptiez aller à Pétersbourg. Pourquoi y venez-vous ? demanda-t-elle en laissant retomber sa main ; une joie impossible à contenir éclaira son visage.

— Pourquoi j’y vais ? répéta-t-il en la regardant fixement. Vous savez bien que je n’y vais que pour être là où vous êtes ; je ne puis faire autrement. »