Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En ce moment le vent, comme s’il eût vaincu tous les obstacles, chassa la neige du toit des wagons, et agita triomphalement une feuille de tôle qu’il avait détachée ; le sifflet de la locomotive envoya un cri plaintif et triste ; jamais l’horreur de la tempête n’avait paru si belle à Anna. Elle venait d’entendre des mots que redoutait sa raison, mais que souhaitait son cœur.

Elle se tut, mais il comprit la lutte qui se passait en elle.

« Pardonnez-moi si ce que je viens de dire vous déplaît », murmura-t-il humblement.

Il parlait avec respect, mais sur un ton si résolu, si décidé, qu’elle resta longtemps sans parler.

« Ce que vous dites est mal, dit-elle enfin, et si vous êtes un galant homme, vous l’oublierez comme je l’oublierai moi-même.

— Je n’oublierai et ne pourrai jamais oublier aucun de vos gestes, aucune de vos paroles…

— Assez, assez », s’écria-t-elle en cherchant vainement à donner à son visage, qu’il observait passionnément, une expression de sévérité ; et, s’appuyant au poteau, elle monta vivement les marches de la petite plate-forme et rentra dans le wagon. Elle s’arrêta à l’entrée pour tâcher de se rappeler ce qui venait de se passer, sans pouvoir retrouver dans sa mémoire les paroles prononcées entre eux ; elle sentait que cette conversation de quelques minutes les avait rapprochés l’un de l’autre, et elle en était tout à la fois épouvantée et heureuse. Au bout de