Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/203

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— Qu’y a-t-il ? demanda Anna en souriant involontairement.

— Je commence à me lasser de lutter inutilement pour la vérité, et je me détraque complètement. L’œuvre de nos petites sœurs (il s’agissait d’une institution philanthropique et patriotiquement religieuse) marchait parfaitement, mais il n’y a rien à faire de ces messieurs ! — Et la comtesse Lydie prit un ton de résignation ironique. — Ils se sont emparés de cette idée pour la défigurer absolument, et la jugent maintenant misérablement, pauvrement ! Deux ou trois personnes, parmi lesquelles votre mari, comprennent seules le sens de cette œuvre ; les autres ne font que la discréditer. Hier, Pravdine m’écrit… »

Et la comtesse raconta ce que contenait la lettre de Pravdine, un célèbre panslaviste vivant à l’étranger. Elle raconta ensuite les nombreux pièges tendus à l’œuvre de l’Union des Églises, s’étendit sur les désagréments qu’elle en éprouvait, et partit enfin à la hâte, parce qu’elle devait encore assister ce jour-là à une réunion du comité slave.

« Tout cela existait autrefois ; pourquoi ne l’ai-je pas remarqué plus tôt ? pensa Anna. Était-elle aujourd’hui plus nerveuse que d’habitude ? Au fond, tout cela est drôle ; voilà une femme qui n’a que la charité en vue, une chrétienne, et elle se fâche et lutte contre d’autres personnes, dont le but est également celui de la religion et de la charité. »

Après la comtesse Lydie vint une amie, femme d’un haut fonctionnaire, qui lui raconta les nou-