Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/240

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ils sont jeunes, et venaient de bien dîner. Vous comprenez. Maintenant ils se repentent du fond du cœur et vous supplient de pardonner leur erreur. » Le conseiller titulaire s’adoucit encore : « J’en conviens, monsieur le comte, et suis prêt à pardonner, mais vous concevez que ma femme, une honnête femme, a été exposée aux poursuites, aux grossièretés, aux insultes de mauvais garnements, de misé… » Et, les mauvais garnements étant présents, me voilà obligé de les calmer à leur tour, et pour cela de refaire de la diplomatie, et ainsi de suite ; chaque fois que mon affaire est sur le point d’aboutir, mon conseiller titulaire reprend sa colère et sa figure rouge, ses boudins rentrent en mouvement et je me noie dans les finesses du négociateur.

— Ah ! ma chère, il faut vous raconter cela ! dit Betsy à une dame qui entrait dans sa loge. Il m’a tant amusée ! — Eh bien, bonne chance », ajouta-t-elle en tendant à Wronsky les doigts que son éventail laissait libres ; et, faisant un geste des épaules pour empêcher son corsage de remonter, elle se plaça sur le devant de sa loge, sous la lumière du gaz, afin d’être plus en vue.

Wronsky alla retrouver au Théâtre français le colonel de son régiment, qui n’y manquait pas une seule représentation ; il avait à lui parler de l’œuvre de pacification qui, depuis trois jours, l’occupait et l’amusait. Les héros de cette histoire étaient Pétritzky et un jeune prince Kédrof, nouvellement entré au