Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/257

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ses amis, manœuvra de façon à se faire momentanément remplacer pour donner la réplique à Alexis Alexandrovitch, et s’approcha d’Anna.

« J’admire toujours la netteté et la clarté de langage de votre mari, dit-elle : les questions les plus transcendantes me semblent accessibles quand il parle.

— Oh oui ! » répondit Anna, ne comprenant pas un mot de ce que disait Betsy, et, rayonnante de bonheur, elle se leva, s’approcha de la grande table et se mêla à la conversation générale.

Au bout d’une demi-heure, Alexis Alexandrovitch proposa à sa femme de rentrer, mais elle répondit, sans le regarder, qu’elle voulait rester à souper. Alexis Alexandrovitch prit congé de la société et partit.

Le vieux cocher des Karénine, un gros Tatare, vêtu de son imperméable, retenait avec peine, devant le perron, ses chevaux excités par le froid. Un laquais tenait la portière du coupé. Le suisse, debout près de la porte d’entrée, la gardait grande ouverte, et Anna écoutait avec transport ce que lui murmurait Wronsky, tout en détachant d’une main nerveuse la dentelle de sa manche qui s’était attachée à l’agrafe de sa pelisse.

« Vous ne vous êtes engagée à rien, j’en conviens, lui disait Wronsky tout en l’accompagnant à sa voiture, mais vous savez que ce n’est pas de l’amitié que je demande : pour moi, le seul bonheur de ma vie sera contenu dans ce mot qui vous déplaît si fort : l’amour.