Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/284

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le bétail afin d’utiliser l’engrais sur les prairies ; arriver ainsi à cultiver trois cents dessiatines de froment, cent dessiatines de pommes de terre, et cent cinquante de trèfle sans épuiser la terre…

Plongé dans ces réflexions et dirigeant prudemment son cheval de façon à ne pas endommager ses champs, il arriva jusqu’à l’endroit où les ouvriers semaient le trèfle. La télègue chargée de semences, au lieu d’être arrêtée à la limite du champ, avait labouré de ses roues le froment d’hiver que le cheval foulait des pieds. Les deux ouvriers, assis au bord de la route, allumaient leur pipe. La semence du trèfle, au lieu d’avoir été passée au crible, était jetée dans la télègue mêlée à de la terre, à l’état de petites mottes dures et sèches.

En voyant venir le maître, l’ouvrier Wassili se dirigea vers la télègue, et Mishka se mit à semer. Tout cela n’était pas dans l’ordre, mais Levine se fâchait rarement contre ses ouvriers. Quand Wassili approcha, il lui ordonna de ramener le cheval de la télègue sur la route.

« Cela ne fait rien, Barine, ça repoussera, dit Wassili.

— Fais-moi le plaisir d’obéir sans raisonner, répondit Levine.

— J’y vais, répondit Wassili, allant prendre le cheval par la tête… — Quelles semailles ! Constantin Dmitritch ! ajouta-t-il pour rentrer en grâce, rien de plus beau ! mais on n’avance pas facilement ! la terre est si lourde qu’on traîne un poud à chaque pied.