Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/295

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« Qu’est-ce qui crie là ? demanda-t-il en attirant l’attention de son compagnon sur un bruit sourd, qui faisait penser à la voix d’un enfant s’amusant à imiter le hennissement d’un cheval.

— Tu ne sais pas ce que c’est ? C’est un lièvre mâle. Mais attention, ne parlons plus », cria presque Levine en armant son fusil à son tour. Un sifflement se fit entendre dans le lointain avec le rythme si connu du chasseur, et, deux ou trois secondes après, ce sifflement se répéta et se changea en un petit cri enroué. Levine leva les yeux à droite, à gauche, et vit enfin au-dessus de sa tête, dans le bleu un peu obscurci du ciel, au-dessus de la cime doucement balancée des trembles, un oiseau qui volait vers lui ; son cri, assez semblable au bruit que ferait une étoffe qu’on déchirerait en mesure, lui résonna à l’oreille ; il distinguait déjà le long bec et le long cou de la bécasse ; mais à peine l’eut-il visée, qu’un éclair rouge brilla du buisson derrière lequel se tenait Oblonsky ; l’oiseau s’agita dans l’air comme frappé d’une flèche. Un second éclair, et l’oiseau, cherchant vainement à se rattraper, battit de l’aile pendant une seconde, et tomba lourdement à terre.

« Est-ce que je l’ai manquée ? cria Stépane Arcadiévitch qui ne voyait rien à travers la fumée.

— La voilà, dit Levine en montrant Laska, une oreille en l’air, l’oiseau dans la gueule, remuant le bout de sa queue, et rapportant lentement le gibier à son maître, avec une espèce de sourire, comme pour faire durer le plaisir.