Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/303

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me trouver trop tard. Je l’aurais engagé à en demander beaucoup plus. »

Rébenine se leva et toisa Levine en souriant.

« Constantin Dmitritch est très serré, dit-il en s’adressant à Stépane Arcadiévitch ; on n’achète définitivement rien avec lui. J’ai marchandé son froment et je donnais un beau prix.

— Pourquoi vous ferais-je cadeau de mon bien ? Je ne l’ai ni trouvé ni volé.

— Faites excuse ; par le temps qui court, il est absolument impossible de voler ; tout se fait, par le temps qui court, honnêtement et ouvertement. Qui donc pourrait voler ? Nous avons parlé honorablement. Le bois est trop cher ; je ne joindrais pas les deux bouts. Je dois prier le prince de céder quelque peu.

— Mais votre affaire est-elle conclue ou ne l’est-elle pas ? Si elle est conclue, il n’y a plus à marchander ; si elle ne l’est pas, c’est moi qui achète le bois. »

Le sourire disparut des lèvres de Rébenine. Une expression d’oiseau de proie, rapace et cruelle, l’y remplaça. De ses doigts osseux il déboutonna aussitôt sa redingote, offrant aux regards sa chemise, son gilet aux boutons de cuivre, sa chaîne de montre, et il retira de son sein un gros portefeuille usé.

« Le bois est à moi, s’il vous plaît », et il fit rapidement un signe de croix et tendit sa main. Prends mon argent, je prends ton bois. Voilà comment Rébenine entend les affaires ; il ne compte pas ses