Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/331

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La sachant seule, il voulait la surprendre ; il n’avait pas annoncé sa visite et elle ne pouvait l’attendre à cause des courses ; il marcha donc avec précaution le long des sentiers sablés et bordés de fleurs, relevant son sabre pour ne pas faire de bruit ; il s’avança ainsi jusqu’à la terrasse, qui de la maison descendait au jardin. Les préoccupations qui l’avaient assiégé en route, les difficultés de sa situation, tout était oublié ; il ne pensait qu’au bonheur de l’apercevoir bientôt, elle en réalité, en personne et non plus en imagination seulement. Déjà il montait les marches de la terrasse le plus doucement possible, lorsqu’il se rappela ce qu’il oubliait toujours, et ce qui formait un des côtés les plus douloureux de ses rapports avec Anna : la présence de son fils, de cet enfant au regard inquisiteur.

L’enfant était le principal obstacle à leurs entrevues. Jamais en sa présence Wronsky et Anna ne se permettaient un mot qui ne pût être entendu de tout le monde, jamais même la moindre allusion que l’enfant n’eût pas comprise. Ils n’avaient pas eu besoin de s’entendre pour cela ; chacun d’eux aurait cru se faire injure en prononçant une parole qui eût trompé le petit garçon ; devant lui ils causaient comme de simples connaissances. Malgré ces précautions, Wronsky rencontrait souvent le regard scrutateur et un peu méfiant de Serge fixé sur lui ; tantôt il le trouvait timide, d’autres fois caressant, rarement le même. L’enfant semblait instinctivement comprendre qu’entre cet homme et sa mère il