Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/335

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vers lui ses beaux yeux ; son regard était plein d’interrogations ; sa main jouait avec une feuille détachée. Le visage de Wronsky prit aussitôt l’expression d’humble adoration, de dévouement absolu qui l’avait conquise.

« Je sens qu’il est arrivé quelque chose. Puis-je être tranquille un instant quand je vous sais un chagrin que je ne partage pas ? Au nom du ciel, parlez », répéta-t-il d’un ton suppliant.

« S’il ne sent pas toute l’importance de ce que j’ai à lui dire, je sais que je ne lui pardonnerai pas ; mieux vaut se taire que de le mettre à l’épreuve », pensa-t-elle en continuant à le regarder ; sa main tremblait.

« Mon Dieu ! qu’y a t-il ? dit-il en lui prenant la main.

— Faut-il le dire ?

— Oui, oui, oui.

— Je suis enceinte », murmura-t-elle lentement.

La feuille qu’elle tenait entre ses doigts trembla encore plus, mais elle ne le quitta pas des yeux, car elle cherchait à lire sur son visage comment il supporterait cet aveu.

Il pâlit, voulut parler, mais s’arrêta et baissa la tête en laissant tomber la main qu’il tenait entre les siennes.

« Oui, il sent toute la portée de cet événement », pensa-t-elle, et elle lui prit la main.

Mais elle se trompait en croyant qu’il sentait