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de prendre un parti… Tout vaut mieux que la vie que tu mènes. Crois-tu donc que je ne voie pas combien tout est tourment pour toi : ton mari, ton fils, le monde, tout !

— Pas mon mari, dit-elle avec un sourire. Je ne le connais pas, je ne pense pas à lui. Je ne sais pas s’il existe.

— Tu n’es pas sincère. Je te connais : tu te tourmentes aussi à cause de lui.

— Mais il ne sait rien, — dit-elle, et soudain son visage se couvrit d’une vive rougeur : le cou, le front, les joues, tout rougit, et les larmes lui vinrent aux yeux. — Ne parlons plus de lui ! »


CHAPITRE XXIII


Ce n’était pas la première fois que Wronsky cherchait à lui faire comprendre et juger sa position, quoiqu’il ne l’eût encore jamais fait aussi fortement ; et toujours il s’était heurté aux mêmes appréciations superficielles et presque futiles. Il lui semblait qu’elle était alors sous l’empire de sentiments qu’elle ne voulait, ou ne pouvait approfondir, et elle, la vraie Anna, disparaissait, pour faire place à un être étrange et indéchiffrable, qu’il ne parvenait pas à comprendre, qui lui devenait presque répulsif. Aujourd’hui il voulut s’expliquer à fond.

« Qu’il le sache ou ne le sache pas, dit-il d’une voix calme mais ferme, peu importe. Nous ne pou-