Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/381

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suadée qu’elle était de trouver en elle une créature parfaite.

Les jeunes filles se rencontraient plusieurs fois par jour, et les yeux de Kitty semblaient toujours dire : « Qui êtes-vous ? Je ne me trompe pas, n’est-ce pas, en vous croyant un être charmant ? Mais, ajoutait le regard, je n’aurai pas l’indiscrétion de solliciter votre amitié : je me contente de vous admirer et de vous aimer ! — Moi aussi, je vous aime et je vous trouve charmante, répondait le regard de l’inconnue, et je vous aimerais plus encore si j’en avais le temps », et réellement elle était toujours occupée. Tantôt c’étaient les enfants d’une famille russe qu’elle ramenait du bain, tantôt un malade qu’il fallait envelopper d’un plaid, un autre qu’elle s’évertuait à distraire, ou bien encore des pâtisseries qu’elle venait acheter pour l’un ou l’autre de ses protégés.

Un matin, bientôt après l’arrivée des Cherbatzky, on vit apparaître un couple qui devint l’objet d’une attention peu bienveillante.

L’homme était de taille haute et voûtée, avec des mains énormes, des yeux noirs, tout à la fois naïfs et effrayants ; il portait un vieux paletot trop court ; la femme était aussi mal mise, marquée de petite vérole, et d’une physionomie très douce.

Kitty les reconnut aussitôt pour des Russes, et déjà son imagination ébauchait un roman touchant dont ils étaient les héros, lorsque la princesse apprit, par la liste des baigneurs, que ces nouveaux venus