Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/391

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— Et s’il n’avait pas agi ainsi pour obéir à sa mère ? Si de son plein gré… ? dit Kitty, sentant qu’elle dévoilait son secret, et que son visage, tout brûlant de rougeur, la trahissait.

— Dans ce cas, il aurait mal agi, et je ne le regretterais plus, répondit Varinka, comprenant qu’il n’était plus question d’elle, mais de Kitty.

— Et l’insulte ? dit Kitty : peut-on l’oublier ? C’est impossible, dit-elle en se rappelant son regard au dernier bal lorsque la musique s’était arrêtée.

— Quelle insulte ? vous n’avez rien fait de mal ?

— Pis que cela, je me suis humiliée… »

Varinka secoua la tête et posa sa main sur celle de Kitty.

« En quoi vous êtes-vous humiliée ? Vous n’avez pu dire à un homme qui vous témoignait de l’indifférence que vous l’aimiez ?

— Certainement non, je n’ai jamais dit un mot, mais il le savait ! Il y a des regards, des manières d’être… Non, non, je vivrais cent ans que je ne l’oublierais pas !

— Mais alors je ne comprends plus. Il s’agit seulement de savoir si vous l’aimez encore ou non, dit Varinka, qui appelait les choses par leur nom.

— Je le hais ; je ne puis me pardonner…

— Eh bien ?

— Mais la honte, l’affront !

— Ah, mon Dieu ! si tout le monde était sensible comme vous ! Il n’y a pas de jeune fille qui n’ait