Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/406

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« Je ne sais si vous vous souvenez encore de moi, mais c’est mon devoir de me rappeler à votre souvenir pour vous remercier de votre bonté pour ma fille, dit-il en ôtant son chapeau sans le remettre.

— Le prince Alexandre Cherbatzky ? dit Mme Stahl en levant sur lui ses yeux célestes, dans lesquels Kitty remarqua une ombre de mécontentement. Enchantée de vous voir. J’aime tant votre fille !

— Votre santé n’est toujours pas bonne ?

— Oh ! j’y suis faite maintenant, répondit Mme Stahl, et elle présenta le comte suédois.

— Vous êtes bien peu changée depuis les dix ou onze ans que je n’ai eu l’honneur de vous voir.

— Oui, Dieu qui donne la croix, donne aussi la force de la porter. Je me demande souvent pourquoi une vie semblable se prolonge ! — Pas ainsi, dit-elle d’un air contrarié à Varinka, qui l’enveloppait d’un plaid sans parvenir à la satisfaire.

— Pour faire le bien sans doute, dit le prince dont les yeux riaient.

— Il ne nous appartient pas de juger, répondit Mme Stahl, qui surprit cette nuance d’ironie dans la physionomie du prince. — Envoyez-moi donc ce livre, cher comte. — Je vous en remercie infiniment d’avance, dit-elle en se tournant vers le jeune Suédois.

— Ah ! s’écria le prince qui venait d’apercevoir le colonel de Moscou ; et, saluant Mme Stahl, il alla le rejoindre avec sa fille.

— Voilà notre aristocratie, prince, dit le colonel