Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/474

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longue journée de travail n’avait laissé d’autre trace que la gaieté. Un peu avant l’aurore, il se fit un grand silence. On n’entendait plus que le coassement incessant des grenouilles dans le marais, et le bruit des chevaux s’ébrouant sur la prairie. Levine revint à lui, quitta sa meule, et s’aperçut, en regardant les étoiles, que la nuit était passée.

« Eh bien, que vais-je faire ? Et comment réaliser mon projet ? » se dit-il en cherchant à donner une forme aux pensées qui l’avaient occupé pendant cette courte veillée.

D’abord, songeait-il, il faudrait renoncer à sa vie passée, à son inutile culture intellectuelle, renoncement facile, qui ne lui coûterait nul regret. Puis il pensait à sa future existence, toute de simplicité et de pureté, qui lui rendrait le repos d’esprit et le calme qu’il ne connaissait plus. Restait la question principale : comment opérer la transition de sa vie actuelle à l’autre ? Rien à ce sujet ne lui semblait bien clair. Il faudrait épouser une paysanne, s’imposer un travail, abandonner Pakrofsky, acheter un lopin de terre, devenir membre d’une commune… Comment réaliser tout cela ?

« Au surplus, se dit-il, n’ayant pas dormi de la nuit, mes idées ne sont pas nettes ; une seule chose est certaine, c’est que ces quelques heures ont décidé mon sort. Mes rêves d’autrefois ne sont que folie ; ce que je veux sera plus simple et meilleur. — Que c’est beau, pensa-t-il en admirant les petits nuages rosés qui passaient au-dessus de sa tête, semblables au fond