Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/492

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leur étrange brutalité, qu’elle ne put comprendre comment elle avait eu le courage de les prononcer.

Qu’en résulterait-il maintenant ?

Alexis Alexandrovitch était parti sans répondre.

« J’ai revu Wronsky depuis et ne lui ai rien dit. Au moment où il partait, j’ai voulu le rappeler, et j’y ai renoncé parce que j’ai pensé qu’il trouverait singulier que je n’eusse pas tout avoué dès l’abord. Pourquoi, voulant parler, ne l’ai-je pas fait ? » Son visage, en réponse à cette question, se couvrit d’une rougeur brûlante ; elle comprit que ce qui l’avait retenue était la honte. Et cette situation, qu’elle trouvait la veille si claire, lui parut plus sombre, plus inextricable que jamais. Elle eut peur du déshonneur auquel elle n’avait pas songé jusque-là. Réfléchissant aux différents partis que pourrait prendre son mari, il lui vint à l’esprit les idées les plus terribles. À chaque instant, il lui semblait voir arriver le régisseur pour la chasser de la maison, et proclamer sa faute à l’univers entier. Elle se demandait où elle chercherait un refuge si on la chassait ainsi, et ne trouvait pas de réponse.

« Wronsky, pensait-elle, ne l’aimait plus autant et commençait à se lasser. Comment irait-elle s’imposer à lui ? » Et un sentiment amer s’éleva dans son âme contre lui. Les aveux qu’elle avait faits à son mari la poursuivaient ; il lui semblait les avoir prononcés devant tout le monde, et avoir été entendue de tous. Comment regarder en face ceux avec lesquels elle vivait ? Elle ne se décidait pas à sonner