Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/496

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son voyage. « Non, je la laisserai, décida-t-elle, j’irai seule avec mon fils. »

« Oui, c’est très mal, — dit-elle enfin, et, prenant Serge par l’épaule, elle le regarda sans sévérité. — Laissez-le-moi, » dit-elle à la gouvernante étonnée, et, sans quitter le bras de l’enfant, troublé mais rassuré, elle l’embrassa, et s’assit à la table où le café était servi.

« Maman, je…, je… ne… » balbutiait Serge en cherchant à deviner à l’expression du visage de sa mère ce qu’elle dirait de l’histoire de la pêche.

« Serge, dit-elle aussitôt que la gouvernante eut quitté la chambre, c’est mal, mais tu ne le feras plus, n’est-ce pas ? tu m’aimes ? »

L’attendrissement la gagnait : « Puis-je ne pas l’aimer, — pensait-elle, touchée du regard heureux et ému de l’enfant, — et se peut-il qu’il se joigne à son père pour me punir ? Se peut-il qu’il n’ait pas pitié de moi ? » Des larmes coulaient le long de son visage ; pour les cacher, elle se leva brusquement et se sauva presque en courant sur la terrasse.

Aux pluies orageuses des derniers jours avait succédé un temps clair et froid, malgré le soleil qui brillait dans le feuillage. Le froid, joint au sentiment de terreur qui s’emparait d’elle, la fit frissonner. « Va, va retrouver Mariette », dit-elle à Serge qui l’avait suivie, et elle se mit à marcher sur les nattes de paille qui recouvraient le sol de la terrasse.

Elle s’arrêta et contempla un moment les cimes des trembles, rendus brillants par la pluie et le so-