Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/497

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leil. Il lui sembla que le monde entier serait sans pitié pour elle, comme ce ciel froid et cette verdure.

« Il ne faut pas penser », se dit-elle en sentant comme le matin une douloureuse scission intérieure se faire en elle. « Il faut s’en aller, où ? quand ? avec qui ?… À Moscou, par le train du soir. Oui, et j’emmènerai Annouchka et Serge. Nous n’emporterons que le strict nécessaire, mais il faut d’abord leur écrire à tous les deux ». Et, rentrant vivement dans le petit salon, elle s’assit à sa table pour écrire à son mari.

« Après ce qui s’est passé, je ne puis plus vivre chez vous : je pars et j’emmène mon fils ; je ne connais pas la loi, j’ignore par conséquent avec qui il doit rester, mais je l’emmène parce que je ne puis vivre sans lui ; soyez généreux, laissez-le-moi. »

Jusque-là elle avait écrit rapidement et naturellement, mais cet appel à une générosité qu’elle ne reconnaissait pas à Alexis Alexandrovitch, et la nécessité de terminer par quelques paroles touchantes, l’arrêtèrent.

« Je ne puis parler de ma faute et de mon repentir, c’est pour cela… » Elle s’arrêta encore, ne trouvant pas de mots pour exprimer sa pensée. « Non, se dit-elle, je ne puis rien ajouter ». Et, déchirant sa lettre, elle en écrivit une autre ; d’où elle excluait tout appel à la générosité de son mari.

La seconde lettre devait être pour Wronsky : « J’ai tout avoué à mon mari, » écrivait-elle, puis elle s’arrêta, incapable de continuer : c’était si bru-