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CHAPITRE XXII


Il était cinq heures passées. Pour ne pas manquer au rendez-vous, et surtout pour ne pas s’y rendre avec ses chevaux que tout le monde connaissait, Wronsky prit la voiture d’isvostchik de Yashvine et ordonna au cocher de marcher bon train ; c’était une vieille voiture à quatre places ; il s’y installa dans un coin, et étendit ses jambes sur la banquette.

L’ordre rétabli dans ses affaires, l’amitié de Serpouhowskoï et les paroles flatteuses par lesquelles celui-ci lui avait affirmé qu’il était un homme nécessaire, enfin l’attente d’une entrevue avec Anna, lui donnaient une joie de vivre si exubérante qu’un sourire lui vint aux lèvres ; il passa la main sur la contusion de la veille, et respira à pleins poumons.

« Qu’il fait bon vivre », se dit-il en se rejetant au fond de la voiture, les jambes croisées. Jamais il n’avait éprouvé si vivement cette plénitude de vie, qui lui rendait même agréable la légère douleur qu’il ressentait de sa chute.

Cette froide et claire journée d’août, dont Anna avait été si péniblement impressionnée, le stimulait, l’excitait.

Ce qu’il apercevait aux dernières clartés du jour, dans cette atmosphère pure, lui paraissait frais, joyeux et sain comme lui-même. Les toits des maisons que doraient les rayons du soleil couchant, les