Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/549

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mal, mais c’était par convenance, car il cachait difficilement l’orgueil que lui inspiraient son bien-être, ses beaux enfants, son bétail et, par-dessus tout, la prospérité de son exploitation. Dans le courant de la conversation il prouva qu’il ne repoussait pas les innovations, cultivait les pommes de terre en grand, labourait avec des charrues, qu’il nommait « charrues de propriétaire », semait du froment et le sarclait, ce que Levine n’avait jamais pu obtenir chez lui.

« Cela occupe les femmes, dit-il.

— Eh bien, nous autres propriétaires n’en venons pas à bout.

— Comment peut-on mener les choses à bien avec des ouvriers ? c’est la ruine. Voilà Swiagesky par exemple, dont nous connaissons bien la terre : faute de surveillance, il est rare que sa récolte soit bonne.

— Mais comment fais-tu, toi, avec tes ouvriers ?

— Oh ! nous sommes entre paysans ; nous travaillons nous-mêmes, et si l’ouvrier est mauvais, il est vite chassé : on s’arrange toujours avec les siens.

— Père, on demande du goudron », vint dire à la porte la jeune femme aux galoches.

Le vieux se leva, remercia Levine, et, après s’être longuement signé devant les saintes images, il sortit.

Lorsque Levine entra dans la chambre commune pour appeler son cocher, il vit toute la famille à table ; les femmes servaient debout. Un grand beau