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— Et je ne suis pas le seul, continua Levine ; j’en appelle à tous ceux qui ont fait des essais comme moi : à de rares exceptions près, ils sont tous en perte. Mais, vous-même, êtes-vous content ? » demanda-t-il en remarquant sur le visage de Swiagesky l’embarras que lui causait cette tentative de sonder le fond de sa pensée.

Ce n’était pas de bonne guerre ; Mme Swiagesky avait avoué pendant le thé à Levine qu’un comptable allemand, mandé exprès de Moscou, qui, pour 500 roubles, s’était chargé d’établir les comptes de leur exploitation, avait constaté une perte de 3000 roubles.

Le vieux propriétaire sourit en entendant Levine ; il savait évidemment à quoi s’en tenir sur le rendement des terres de son voisin.

« Le résultat peut n’être pas brillant, répondit Swiagesky, mais cela prouve tout au plus que je suis un agronome médiocre, ou que mon capital rentre dans la terre afin d’augmenter la rente.

— La rente ! s’écria Levine avec effroi. Elle existe peut-être en Europe, où le capital qu’on met dans la terre se paye, mais chez nous il n’en est rien.

— La rente doit exister cependant. C’est une loi.

— Alors c’est que nous sommes hors la loi ; pour nous, ce mot de rente n’explique et n’éclaircit rien ; au contraire, il embrouille tout ; dites-moi comment la rente…

— Ne prendriez-vous pas du lait caillé ? Macha,