Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/95

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au bal, dansait avec elle, s’était fait présenter à ses parents : pouvait-on douter de ses intentions ? Et cependant la pauvre mère passait un hiver cruellement agité.

La princesse, lorsqu’elle s’était mariée, il y avait quelque trente ans, avait vu son mariage arrangé par l’entremise d’une tante. Le fiancé, qu’on connaissait d’avance, était venu pour la voir et se faire voir, l’entrevue avait été favorable, et la tante qui faisait le mariage avait de part et d’autre rendu compte de l’impression produite ; on était venu ensuite au jour indiqué faire aux parents une demande officielle qui avait été agréée, et tout s’était passé simplement et naturellement. Au moins est-ce ainsi que la princesse se rappelait les choses à distance. Mais lorsqu’il s’était agi de marier ses filles, elle avait appris, par expérience, combien cette affaire, si simple en apparence, était en réalité difficile et compliquée.

Que d’anxiétés, que de soucis, que d’argent dépensé, que de luttes avec son mari lorsqu’il avait fallu marier Dolly et Nathalie ! Maintenant il fallait repasser par les mêmes inquiétudes et par des querelles plus pénibles encore ! Le vieux prince, comme tous les pères en général, était pointilleux à l’excès en tout ce qui touchait à l’honneur et à la pureté de ses filles ; il en était jaloux, surtout de Kitty, sa favorite. À chaque instant il faisait des scènes à la princesse et l’accusait de compromettre sa fille. La princesse avait pris l’habitude