Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/213

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nonçant nettement encore. — Sans relever la tête, il tourna les yeux du côté de son frère, dont il ne pouvait apercevoir le visage. Katia, va-t’en ! » murmura-t-il encore.

Levine obligea doucement sa femme à sortir.

« Je m’en vais, répéta encore le mourant.

— Pourquoi t’imagines-tu cela ? demanda Levine pour dire quelque chose.

— Parce que je m’en vais, répéta Nicolas comme s’il eût pris ce mot en affection. C’est fini. »

Marie Nicolaevna s’approcha de lui.

« Couchez-vous, vous serez mieux, dit-elle.

— Bientôt je serai couché tranquillement, mort, murmura-t-il avec une espèce d’ironie irritée. Eh bien ! couchez-moi si vous voulez. »

Levine remit son frère sur le dos, s’assit auprès de lui, et, respirant à peine, examina son visage. Le mourant avait les yeux fermés, mais les muscles de son front s’agitaient de temps en temps comme s’il eût profondément réfléchi. Malgré lui, Levine chercha à comprendre ce qui pouvait se passer dans l’esprit du moribond ; ce visage sévère, et le jeu des muscles au-dessus des sourcils, semblaient indiquer que son frère entrevoyait des mystères qui restaient cachés pour les vivants.

« Oui, oui… murmura lentement le mourant en faisant de longues pauses ; attendez, c’est cela ! dit-il soudain, comme si tout s’était éclairai pour lui. Ô Seigneur ! » Et il soupira profondément.

Marie Nicolaevna posa la main sur ses pieds. « Il se refroidit », dit-elle à voix basse.