Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/239

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« Je ne me crois pas le droit de lui refuser, dit-il enfin, levant les yeux avec une certaine crainte.

— Mon ami ! vous ne voyez le mal nulle part !

— Je trouve, au contraire, le mal partout. Mais serait-il juste de… ? »

Son visage exprimait l’indécision, le désir d’un conseil, d’un appui, d’un guide dans une question aussi épineuse.

« Non, interrompit Lydie Ivanovna. Il y a des limites à tout. Je comprends l’immoralité, dit-elle sans aucune véracité, puisqu’elle ignorait pourquoi les femmes pouvaient être immorales, mais ce que je ne comprends pas, c’est la cruauté, et envers qui ? Envers vous ! Comment peut-elle rester dans la même ville que vous ? On n’est jamais trop vieux pour apprendre, et moi j’apprends tous les jours à comprendre votre grandeur et sa bassesse.

— Qui de nous jettera la première pierre ! dit Karénine visiblement satisfait du rôle qu’il jouait. Après avoir tout pardonné, puis-je la priver de ce qui est un besoin de son cœur, son amour pour l’enfant… ?

— Est-ce bien de l’amour, mon ami ? Tout cela est-il sincère ? Vous avez pardonné, et vous pardonnez encore, je le veux bien ; mais avons-nous le droit de troubler l’âme de ce petit ange ? Il la croit morte ; il prie pour elle, et demande à Dieu le pardon de ses péchés ; que penserait-il maintenant ?

— Je n’y avais pas songé », dit Alexis Alexandrovitch en reconnaissant la justesse de ce raisonnement.