Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/358

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un étalon. — Allez-y ; moi, je ramènerai la princesse à la maison ; et si vous le permettez, ajouta-t-il en s’adressant à Dolly, nous causerons un peu chemin faisant.

— Bien volontiers, car je ne me connais pas en chevaux, » répondit celle-ci, comprenant à la physionomie de Wronsky qu’il voulait lui parler en particulier. Effectivement, lorsque Anna se fut éloignée, il dit en regardant Dolly de ses yeux souriants :

« Je ne me trompe pas, n’est-ce pas, en vous croyant une sincère amie d’Anna ? » Et il ôta son chapeau pour s’essuyer le front.

Dolly fut prise d’inquiétude ; qu’allait-il lui demander ? De venir chez eux avec ses enfants ? De former un cercle à Anna quand elle viendrait à Moscou ? Peut-être allait-il lui parler de Kitty ou de Weslowsky ?

« Anna vous aime tendrement, dit le comte après un moment de silence : prêtez-moi l’appui de votre influence sur elle. — Dolly considéra le visage sérieux et énergique de Wronsky sans répondre. — Si de toutes les amies d’Anna vous avez été la seule à venir la voir, — je ne compte pas la princesse Barbe, — ce n’est pas, je le sais bien, que vous jugiez notre situation normale, c’est que vous aimez assez Anna pour chercher à lui rendre cette situation supportable. Ai-je raison ?

— Oui, mais…

— Personne ne ressent plus cruellement que moi les difficultés de notre vie, dit Wronsky s’ar-