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des livrées aux domestiques, et, en songeant que cent roubles représentaient les gages de deux ouvriers à l’année, ou de trois cents journaliers, Levine avait demandé si les livrées étaient indispensables. Le profond étonnement de la princesse et de Kitty à cette question lui ferma la bouche. Au second billet de cent roubles (pour l’achat des provisions nécessaires à un grand dîner de famille) il hésita moins, quoiqu’il supputât encore mentalement le nombre de mesures d’avoine représenté par cet argent. Depuis lors, les billets s’envolaient, pareils à de petits oiseaux ; Levine ne demanda plus si le plaisir acheté par son argent était proportionné au mal qu’il donnait à gagner, il oublia ses principes arrêtés sur le devoir de vendre son blé au plus haut prix possible, il ne songea même plus à se dire que le train qu’il menait l’endetterait promptement.

Avoir de l’argent à la Banque pour subvenir aux besoins journaliers du ménage fut dorénavant son seul objectif ; jusqu’ici il n’avait pas été gêné, mais la demande de Kitty venait de le troubler ! Comment se procurerait-il de l’argent plus tard ? Plongé dans ces réflexions, il monta en isvoschik et se rendit chez Katavasof.


CHAPITRE III


Levine s’était beaucoup rapproché de son camarade d’Université ; tout en admirant son jugement, « il pensait que la netteté des con-