Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/426

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— Pas mal ; un peu nerveuse, comme toujours.

— N’est-ce pas qu’il est beau ? dit Stépane Arcadiévitch, remarquant l’admiration de Levine pour le portrait.

— Je n’ai rien vu de plus parfait.

— Ni de plus ressemblant », ajouta Varkouef.

Le visage d’Anna brilla d’un éclat tout particulier lorsque, pour comparer le portrait à l’original, Levine la regarda attentivement ; celui-ci rougit, et pour cacher son trouble demanda à Mme Karénine quand elle avait vu Dolly.

« Dolly ? je l’ai vue avant-hier, très montée contre les professeurs de Grisha au gymnase, qu’elle accuse d’injustice ; nous causions tout à l’heure avec M. Varkouef des tableaux de Votchenko ; les connaissez-vous ?

— Oui, » répondit Levine, et la conversation s’engagea sur les nouvelles écoles de peinture et sur les illustrations qu’un peintre français venait de faire de la Bible. Anna causait avec esprit, mais sans aucune prétention, s’effaçant volontiers pour faire briller les autres, et, au lieu de se torturer comme il l’avait fait le matin, Levine trouva agréable et facile soit de parler, soit d’écouter. À propos du réalisme exagéré que Varkouef reprochait à la peinture française, Levine fit remarquer que le réalisme était une réaction, jamais la convention dans l’art n’ayant été poussée aussi loin qu’en France.

« Ne plus mentir devient de la poésie », dit-il, et il se sentit heureux de voir Anna rire en l’approuvant.