Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

services son énergie ne rendrait-elle pas ! Elle accomplirait de grandes choses.

— Que voulez-vous ? cela ne se commande pas. Le comte Alexis Kyrilovitch (elle regarda Levine d’un air timide en prononçant ce nom, et celui-ci lui répondit par un regard approbateur et respectueux) m’a fort encouragée à visiter les écoles à la campagne ; j’ai essayé, mais n’ai jamais pu m’y intéresser. Vous parlez d’énergie ? mais la base de l’énergie, c’est l’amour, et l’amour ne se donne pas à volonté. Je serais fort embarrassée de vous dire pourquoi je me suis attachée à cette petite Anglaise, je n’en sais rien. »

Elle regarda encore Levine comme pour lui prouver qu’elle ne parlait que dans le but d’obtenir son approbation, sûre d’avance cependant qu’ils se comprenaient.

« Combien je suis de votre avis, s’écria celui-ci : on ne saurait mettre son cœur dans ces questions scolaires ; aussi les institutions philanthropiques restent-elles généralement lettre morte.

— Oui, dit Anna après un moment de silence, je n’ai jamais réussi à aimer tout un ouvroir de vilaines petites filles, je n’ai pas le cœur assez large ; pas même maintenant où j’aurais tant besoin d’occupation ! » ajouta-t-elle d’un air triste et en s’adressant à Levine, quoiqu’elle parlât à son frère. Puis, fronçant le sourcil, comme pour se reprocher cette demi-confidence, elle changea de conversation.

« Vous avez la réputation d’être un assez mé-