Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/445

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lampe, et entendait la vieille bonne le consoler de cet accident, et l’encourager au sujet de sa femme. Comment tout cela était-il arrivé ? Pourquoi la princesse lui prenait-elle la main d’un air de compassion ? Pourquoi Dolly cherchait-elle à le faire manger avec forces raisonnements ? Pourquoi le docteur lui-même lui offrait-il des pilules en le regardant gravement ?

Il se sentait dans le même état moral qu’un an auparavant, près du lit de mort de Nicolas ; l’attente de la douleur, comme actuellement celle du bonheur, le transperçait au-dessus du niveau habituel de l’existence à des hauteurs d’où il découvrait des sommets plus élevés encore, et son âme criait vers Dieu avec la même simplicité, la même confiance qu’au temps de son enfance.

Sa vie, pendant ces longues heures, lui sembla dédoublée ; une moitié se passait au pied du lit de Kitty, l’autre chez lui, dans son cabinet, à parler de choses indifférentes ; et toujours un sentiment de culpabilité s’emparait de lui lorsqu’un gémissement arrivait à son oreille ; il se levait, courait alors vers sa femme, se rappelait en chemin qu’il n’y pouvait rien, voulait l’aider, la soutenir, et se reprenait à prier.


CHAPITRE XV


Les bougies achevaient de brûler dans leurs bobèches, et Levine assis près du docteur l’enten-