Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/450

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Levine regarda le pauvre petit avec de vains efforts pour se découvrir des sentiments paternels ; il fut cependant pris de pitié en voyant la sage-femme manier ces membres grêles, et fit un geste pour l’arrêter.

« Soyez tranquille, dit celle-ci en riant, je ne lui ferai pas de mal » ; et, après avoir arrangé son poupon comme elle l’entendait, elle le présenta avec fierté en disant : « C’est un enfant superbe ! »

Mais cet enfant superbe, avec son visage rouge, ses yeux bridés, sa tête branlante, n’inspira à Levine qu’un sentiment de pitié et de dégoût. Il s’attendait à tout autre chose, et se détourna tandis que la sage-femme le posait sur les bras de Kitty. Tout à coup celle-ci se mit à rire, l’enfant avait pris le sein.

« C’est assez maintenant », dit la sage-femme au bout d’un moment, mais Kitty ne voulut pas lâcher son fils, qui s’endormit près d’elle.

« Regarde-le maintenant », dit-elle en tournant l’enfant vers son père, au moment où le petit visage prenait une expression plus vieillotte encore pour éternuer. Levine se sentit prêt à pleurer d’attendrissement ; il embrassa sa femme et quitta la chambre. Combien les sentiments que lui inspirait ce petit être étaient différents de ceux qu’il avait prévus ! Il n’éprouvait ni fierté ni bonheur, mais une pitié profonde, une crainte si vive que cette pauvre créature sans défense ne souffrît, qu’en la voyant éternuer il n’avait pu se défendre d’une joie imbécile.