Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/46

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moment jugé sur mon costume, avez pris ma défense, ce dont je vous ai été bien reconnaissant.

— Les droits des voyageurs au choix de leurs places sont trop peu déterminés en général, dit Alexis Alexandrovitch en s’essuyant le bout des doigts avec son mouchoir, après avoir mangé une fine tranche de pain et de fromage.

— Oh, j’ai bien remarqué votre hésitation, répondit en souriant Levine : c’est pourquoi je me suis hâté d’entamer un sujet de conversation sérieux pour faire oublier ma peau de mouton. »

Kosnichef, qui causait avec la maîtresse de la maison tout en prêtant l’oreille à la conversation, tourna la tête vers son frère. « D’où lui viennent ces airs conquérants ? » pensa-t-il.

Et en effet il semblait que Levine se sentît pousser des ailes ! Car elle l’écoutait, elle prenait plaisir à l’entendre parler ; tout autre intérêt disparaissait devant celui-là. Il était seul avec elle, non seulement dans cette chambre, mais dans l’univers entier, et planait à des hauteurs vertigineuses, tandis qu’en bas, au-dessous d’eux, s’agitaient ces excellentes gens, Oblonsky, Karénine, et le reste de l’humanité.

Stépane Arcadiévitch, en plaçant son monde à table, sembla complètement oublier Levine et Kitty, puis, se rappelant soudain leur existence, il les mit l’un auprès de l’autre.

Le dîner, servi avec élégance, car Stépane Arcadiévitch y tenait beaucoup, réussit complètement. Le potage Marie-Louise, accompagné de petits pâtés qui fondaient dans la bouche, fut parfait, et