Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Oui, mais un homme ne peut allaiter, tandis qu’une femme… dit Pestzoff.

— Pardon ; un Anglais, à bord d’un navire, est arrivé à allaiter lui-même son enfant, dit le vieux prince, qui se permettait quelques libertés de langage devant ses filles.

— Autant d’Anglais nourrices, autant de femmes fonctionnaires, dit Serge Ivanitch.

— Mais les filles sans famille ? demanda Stépane Arcadiévitch qui, en soutenant Pestzoff, avait pensé tout le temps à la Tchibisof, sa petite danseuse.

— Si vous scrutez la vie de ces jeunes filles, s’interposa ici Daria Alexandrovna avec une certaine aigreur, vous trouverez certainement qu’elles ont abandonné une famille dans laquelle des devoirs de femmes étaient à leur portée. »

Dolly comprenait instinctivement à quel genre de femmes Stépane Arcadiévitch faisait allusion.

« Mais nous défendons un principe, un idéal, riposta Pestzoff de sa voix tonnante. La femme réclame le droit d’être indépendante et instruite ; elle souffre de son impuissance à obtenir l’indépendance et l’instruction.

— Et moi je souffre de n’être pas admis comme nourrice à la maison des enfants trouvés », répéta le vieux prince, à la grande joie de Tourovtzine, qui en laissa choir une asperge dans sa sauce par le gros bout.