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esprit du mal ; s’y soustraire était un devoir, le moyen de s’en affranchir se trouvait au pouvoir de chacun… Et Levine, aimé, heureux, père de famille, éloigna soigneusement de sa main toute arme, comme s’il eût craint de céder à la tentation de mettre fin à son supplice.

Il ne se tua cependant pas et continua à vivre et à lutter.


CHAPITRE X


Autant Levine était moralement troublé par la difficulté d’analyser le problème de son existence, autant il agissait sans hésitation dans la vie journalière. Il reprit ses travaux habituels à Pakrofsky vers le mois de juin : la direction des terres de sa sœur et de son frère, ses relations avec ses voisins et ses paysans ; il y joignit cette année une chasse aux abeilles, qui l’occupa et la passionna. L’intérêt qu’il prenait aux affaires s’était limité ; il n’y apportait plus comme autrefois des vues générales, dont l’application lui avait causé bien des déceptions, et se contentait de remplir ses nouveaux devoirs, averti par un secret instinct que de cette façon il agissait pour le mieux. Jadis l’idée de faire une action bonne et utile lui causait à l’avance une douce impression de joie, mais l’action en elle-même ne réalisait jamais ses espérances, et il se prenait très vite à douter de l’utilité de ses entreprises. Maintenant, il allait droit