Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/62

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lui déplaire par une assiduité trop marquée ; il resta avec les hommes, et prit part à la conversation générale ; mais, sans regarder Kitty, il ne perdait aucun de ses mouvements, il devinait jusqu’à la place qu’elle occupait au salon. Tout d’abord il remplit, sans le moindre effort, la promesse qu’il avait faite d’aimer son prochain et de n’en penser que du bien. La conversation tomba sur la commune en Russie, que Pestzoff considérait comme un ordre de choses nouveau, destiné à servir d’exemple au reste du monde. Levine était aussi peu de son avis que de celui de Serge Ivanitch, qui reconnaissait et niait, tout à la fois, la valeur de cette institution, mais il chercha à les mettre d’accord en adoucissant les termes dont ils se servaient, sans qu’il éprouvât le moindre intérêt pour la discussion. Son unique désir était de voir chacun heureux et content. Une personne, la seule désormais importante pour lui, s’était approchée de la porte ; il sentit un regard et un sourire fixés sur lui et fut obligé de se retourner. Elle était là, debout avec Cherbatzky, et le regardait.

« Je pensais que vous alliez vous mettre au piano ? dit-il en s’approchant d’elle ; voilà ce qui me manque à la campagne : la musique.

— Non ; nous étions simplement venus vous chercher, et je vous remercie d’avoir compris, répondit-elle en le récompensant d’un sourire. Quel plaisir y a-t-il à discuter ? on ne convainc jamais personne.

— Combien c’est vrai !… »