Page:Tolstoï - Conseils aux dirigés.djvu/39

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paraissait le servage il y a cinquante ans. Soit parce que les autres moyens d’asservissement ont disparu, soit parce que le nombre des hommes a augmenté, ou qu’ils sont devenus plus éclairés, tous ceux qui possèdent des terres, comme ceux qui en sont privés, voient déjà clairement aujourd’hui ce qu’ils ne voyaient pas jusqu’alors : ils voient que le paysan qui a peiné toute sa vie manque de pain, parce qu’il n’a pas de champ à ensemencer, de lait pour ses enfants et ses vieillards, parce qu’il n’a pas de pâturages, de bois pour réparer sa chaumière vermoulue ou pour se chauffer, alors qu’à côté de lui le propriétaire foncier vit sans travailler dans son vaste domaine, nourrit des petits chiens avec du lait, construit des pavillons, des écuries ornées de vitraux coûteux, fait élever des brebis sur des dizaines de mille de déciatines, plante des parcs et des forêts, mange et boit en une semaine de quoi nourrir une année le village voisin qui meurt de faim ; et ils s’aperçoivent qu’un tel état de choses ne saurait se perpétuer. L’injustice, l’insanité, la cruauté de cette situation